Le dialogue au style indirect
Ici, le narrateur rapporte les discours de ses personnages en utilisant un verbe déclaratif (en gras). Par exemples : Marie-Rose intime à son frère de se taire. Jeannot leur expliqua qu’il n’avait pas terminé les travaux extérieurs, parce qu’un orage avait éclaté. Pierre lui a demandé de venir avec lui. Janette raconta ses déboires amoureux à Nadine, qui était tout ouïe. Ces phrases s’insèrent dans la narration, dans le paragraphe ; elles n’en sont pas séparées, comme c’est le cas avec le dialogue direct (les tirets).
Voici un extrait de mon roman Les Sémolines.
Pendant le reste de l’entretien, il se garda de leur confier que Christine et Roger quadrillaient les environs de Sainte-Marie-de-Blandford, à la recherche du lieu précis où avait été enterrée Suzie. Il les informa toutefois que Joëlle et les enfants étaient installés chez lui, et qu’il avait toujours l’impression d’être surveillé. Une patrouille ne pourrait-elle pas, une fois de temps en temps, circuler dans la rue ? Gabrielle accepta : une patrouille, c’était moins cher que des gardes en faction vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Avez-vous trouvé la phrase qui correspond au dialogue indirect ?
On utilise le style indirect pour différentes raisons : apporter de la variété dans la narration, produire un effet de synthèse, accélérer le rythme…
Le dialogue au style indirect libre
Le narrateur rapporte le discours de ses personnages sans aucun verbe déclaratif. Le dialogue se libère de toute attache ; il erre librement dans le paragraphe. Et l’on sait qui parle.
Dans l’extrait cité plus haut, les deux dernières phrases correspondent à du dialogue indirect libre. Revoyons-les plus en détail :
Pendant le reste de l’entretien, il se garda de leur confier que Christine et Roger quadrillaient les environs de Sainte-Marie-de-Blandford, à la recherche du lieu précis où avait été enterrée Suzie. Il les informa toutefois que Joëlle et les enfants étaient installés chez lui, et qu’il avait toujours l’impression d’être surveillé. Une patrouille ne pourrait-elle pas, une fois de temps en temps, circuler dans la rue ? Gabrielle accepta : une patrouille, c’était moins cher que des gardes en faction vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Ce texte est écrit du point de vue de Sahale, mon personnage principal. Le « il », c’est lui. Après la réplique de Sahale rapportée au style indirect, j’enchaîne avec une réplique rapportée au style indirect libre ; c’est toujours Sahale qui s’exprime : « Une patrouille ne pourrait-elle pas, une fois de temps en temps, circuler dans la rue ? » Ensuite, Gabrielle répond : « … une patrouille, c’était moins cher que des gardes en faction vingt-quatre heures sur vingt-quatre. »
Ce que j’aime du dialogue indirect libre, c’est qu’en plus d’apporter de la variété dans le texte, il le rend davantage littéraire.
Voici un extrait d’un auteur connu, qui maîtrise l’art de rapporter les discours au style indirect libre. Et je nomme Émile Zola ! Dans Les Rougon-Macquart, volume 4, Germinal, page 724, Omnibus, l’auteur écrit :
Alors, en courtes phrases, l’haleine coupée, tous deux [Étienne et le vieux charretier] continuèrent à se plaindre. Étienne racontait ses courses inutiles depuis une semaine : il fallait donc crever de faim ? bientôt les routes seraient pleines de mendiants. Oui, disait le vieillard, ça finirait pas mal tourner, car il n’était pas Dieu permis de jeter tant de chrétiens à la rue.
— On n’a pas de viande tous les jours.
— Encore si l’on avait du pain !
— C’est vrai, si l’on avait du pain seulement !
Leurs voix se perdaient, des bourrasques emportaient les mots dans un hurlement mélancolique.
— Tenez ! reprit très haut le charretier en se tournant vers le midi, Montsou est là…
Et, de sa main tendue de nouveau, il désigna dans les ténèbres des points invisibles, à mesure qu’il les nommait. Là-bas, à Montsou, la sucrerie Fauvelle marchait encore, mais la sucrerie Hoton venait de réduire son personnel, il n’y avait guère que la minoterie Dutilleul et la corderie Bleuze pour les câbles de mine qui tinssent le coup. Puis d’un geste large, il indiqua, au nord, toute une moitié de l’horizon : les ateliers de construction Sonneville n’avaient pas reçu les deux tiers de leurs commandes habituelles ; sur les trois hauts fourneaux des Forges de Marchiennes, deux seulement étaient allumées ; enfin, à la verrerie Gagebois, une grève menaçait, car on parlait d’une réduction de salaire.
La réplique rapportée au style indirect libre est parfois précédée d’un deux-points. Mais souvent, c’est une phrase narrative (montrant l’action du personnage) qui introduit ce type de dialogue.
Pour conclure cette série de trois articles sur les dialogues, il est important de comprendre que c’est l’histoire, et uniquement l’histoire (pas les éditeurs ni leurs normes éditoriales) qui dicte le type de dialogue à utiliser. Si l’auteur écoute bien son intuition et les besoins de sa fiction, il saura trouver dans le texte les endroits où il est plus efficace de mettre un discours au style direct (avec tirets ou chevrons) au lieu d’un discours au style indirect ou indirect libre, et vice versa. L’expérience (à force d’écrire et de s’acharner sur le texte) lui permettra de développer ce discernement.
Écrire des dialogues est un art !
En espérant que cette série de trois articles sur les dialogues vous ait été aussi enrichissante à lire qu’elle l’a été pour moi à l’écrire.
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