Chère Shumanie, je tiens à te remercier d’avoir accepté de jouer le jeu de l’entrevue avec moi aujourd’hui. Je suis très heureuse de cette rencontre. Tu es un personnage qui me fascine par ton incroyable capacité de résilience. Je sais que tu es issue de mon imaginaire, mais à mes yeux, tu es plus que ça : tu es un être vivant à part entière. Bien que tu ne vives pas dans le monde physique, tu n’en demeures pas moins une femme avec des émotions, des pensées, des sentiments, des rêves, un vécu, une motivation de vivre et d’être.
Bon, débutons, si tu veux bien.
D’où viens-tu ?
“Je viens de la réserve Wôlinak, près de la rivière Bécancour, au Québec. Ma mère, Kanda, est la chaman-guérisseuse de la réserve. Mon père était propriétaire du dépanneur de la réserve.”
Qu’est-ce qui te motive à te lever le matin ?
“Drôle de question. J’ignore où tu veux en venir avec ça.
En fait, tous les matins, je remercie la vie de pouvoir continuer à respirer, d’avoir la force de me lever, de m’occuper de ma mère, de continuer à diriger le dépanneur. Je suis heureuse que mon fils, Sahale, travaille comme mécanicien au garage La Taule, qu’il ait une maison, un chat, un chien. Qu’il réussisse à rester debout après tout ce qu’il a vécu : c’est un battant, une force de la nature, même s’il l’ignore. Je souhaiterais qu’il se trouve une femme à aimer. J’ai le sentiment que ça lui ferait du bien d’avoir une amoureuse dans sa vie. À l’époque, il y avait la petite Joëlle Pellerin. Ils sont sortis longtemps ensemble, jusqu’à ce que son groupe, Les Sémolines, se dissolve. Un drame. Je n’entrerai pas dans les détails. Tu en parles dans le roman.”
Oui, en effet.
Je suis curieuse, Shumanie. Pourquoi t’es-tu laissé battre par Sébastien pendant toutes ces années sans réagir ? Pourquoi n’as-tu pas appelé la police ? Pourquoi n’as-tu pas cherché de l’aide ? Personne n’était au courant de ce qui se passait chez vous ?
C’en fait beaucoup, de questions, non ?
Je peux concevoir que mes réactions paraissent surréalistes, étranges et anormales. Une femme qui se laisse battre par son mari sans réagir. Aux yeux des gens, je suis folle. Du moins, aux yeux de Sahale, je l’étais. Mon fils m’en voulait de ne rien faire. Il ne comprenait pas. Il voulait que je dénonce son père à la police. Il ne saisissait pas toute l’ampleur de l’amour que j’avais pour cet homme.
Si j’étais au courant qu’une femme de ma connaissance se trouve actuellement dans une situation similaire à celle que j’ai vécue, ma première réaction serait de lui venir en aide en la mettant en contact avec des groupes de soutien pour femmes victimes de violences conjugales ou avec des organismes spécialisés dans ce domaine.
Ce n’est pas donné à tout le monde, cette capacité de résilience dont je suis dotée. Bien que je me sois faite défigurer un nombre incalculable de fois par Sébastien, quelque part en moi, j’ai toujours su que ça allait arrêter, que cette violence n’était pas éternelle. J’allais souffrir de mes blessures, certes, mais j’allais aussi guérir. Chaque fois, je me suis relevée, avec dignité, droite.
À l’époque, personne ne savait ce qui se passait à la maison. Sébastien ordonnait à Kanda de venir me soigner. Il ne voulait pas que j’aille voir le médecin. Avec les herbes et les onguents de ma mère, j’ai réussi à guérir mes plaies. Et avec ses tisanes, mes os brisés se sont ressoudés. Mais quelque fois, j’ai dû me rendre au CLSC avec mon frère. Mon frère détestait Sébastien.
Sébastien était un homme reconnu dans la région pour ses exploits dans la police. Il a participé à de nombreuses enquêtes criminelles. C’était un enquêteur exceptionnel !
Mais à la maison, il était…
J’ai pleuré. Souvent. Dans les bras de ma mère, de Sahale, de mon frère. Mais souvent seule. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Je priais le Grand Esprit pour qu’il guérisse Sébastien de sa douleur intérieure, pour qu’il voit tout l’amour que j’avais pour lui.
Puis il a disparu…”
Tu as dû te sentir soulagée, non ?
“D’une certaine manière, oui. Mon corps a pu enfin guérir complètement, alors qu’avant, entre deux tempêtes de Sébastien, il ne le pouvait pas. Mais j’étais surtout inquiète. Était-il mort dans cet incendie criminelle ? Avait-il tout simplement disparu ? Ne plus l’avoir dans ma vie a créé un immense vide. Oui, je sais, ça peut paraître invraisemblable ce que je te dis, mais j’étais folle d’amour pour lui, même s’il était violent avec moi.”
Mais avant sa disparition, tu n’avais pas peur de cet homme ? Quand il entrait à la maison après son quart de travail à la Sûreté du Québec ? Il avait une arme. Il était costaud. Et ses poings…
“Le plus dur n’était pas de recevoir ses coups, mais de comprendre la raison qui le motivait à me frapper. Ça m’a complètement chavirée quand j’ai compris… Mon mari était prisonnier d’un étau psychologique. Tu en parles un peu dans le roman, n’est-ce pas ? Je n’élaborerai pas trop sur le sujet.”
Oui, pas beaucoup, par contre.
Et Sahale dans tout ça ?
“Sahale a toujours été un amour. Quand Sébastien a commencé les violences, mon petit homme se jetait sur son père pour qu’il arrête. Il voulait à tous prix me protéger. Mais Sébastien le punissait…
À cette époque, mon mari n’était pas lui-même, il était manipulateur, méchant, jaloux… Il n’était pas l’être que je voyais lorsque je le regardais dans les yeux. L’âme, dans son corps, était prisonnière d’une profonde et vive douleur psychique. Alors, ces gestes traduisaient cette détresse émotionnelle…
Sahale, lui, ne voyait pas ce que je voyais. Lui, il subissait les coups, la violence. Et me voir si vulnérable devant son père… Il en était incapable… J’ai tenté d’empêcher Sébastien de punir Sahale, mais en vain. Ça faisait juste empirer les choses.
Malgré tout, Sahale s’en est bien sorti, quoiqu’il doive gérer dans son quotidien ses pulsions violentes. À cause d’elles, il a passé plusieurs mois en prison. Mais je crois que ça va mieux pour lui maintenant.”
Merci beaucoup, Shumanie, d’avoir partagé avec nous ces quelques moments. Te côtoyer me rend humble. Ta capacité de résilience est tout à fait exceptionnelle.
“Ça m’a fait plaisir, AnyJann. Et ne t’en fais pas pour moi, OK ? Je suis forte. Je vais bien. Je comprends toutes les raisons qui ont poussé Sébastien à agir ainsi avec Sahale et moi. Et le soleil se lève à nouveau dans ma vie. La vie continue. La joie de l’instant présent est plus forte que les nombreuses tristesses du passé. On guérit tous à un moment donné. Même toi…”
Oui, je sais. En écrivant cette histoire, je me suis libérée d’une certaine colère qui me rongeait depuis des années.
N’avais-tu pas des choses à dire à mes lecteurices dans l’infolettre ?
“Oui, j’aimerais leur parler de Sébastien au tout début de notre relation. Dans le roman, tu n’as rien écrit de lui à ce moment-là de sa vie. Sébastien n’a pas toujours été violent. Il est arrivé quelque chose qui l’a peu à peu transformé.”
C’est donc un rendez-vous dans la prochaine infolettre qui paraîtra ce dimanche.
Merci encore, Shumanie !
“Tout le plaisir est pour moi.”
Voilà.
J’espère que tu as apprécié cet entretien avec Shumanie. Une femme incroyable, n’est-ce pas ?
Si tu as envie de connaître l’histoire de Shumanie et de Sébastien au début de leur relation, je t’invite à t’inscrire à l’infolettre d’AnyJann. Le formulaire se trouve juste en bas de cet article.
Je te remercie d’être là et de me lire.
À bientôt,
AnyJann
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.