Entre 2008 et 2010, j’ai donné une série d’ateliers d’écriture dans mon patelin. Pour ce cours, j’ai conçu de petits cahiers dans lesquels je traitais de différents aspects de l’écriture, que je remettais aux participant.e.s. J’ai très envie de partager leur contenu avec les futurs apprentis écrivain.e.s qui viendront se déposer sur mon site. Ce sont des informations qui pourraient leur être utiles dans leur démarche à devenir un.e écrivain.e accompli.e.
Le premier article, que j’ai mis à jour, traitera de l’inconscient dans l’écriture. J’en parle aussi dans l’article La réécriture.
Comment utilise-t-on l’inconscient dans la pratique de l’écriture?
Avant de répondre à cette question, ne faut-il pas savoir d’abord ce qu’est l’inconscient?
Définition de l’inconscient
Alors, voici ce qu’en pense notre cher dictionnaire Le Petit Robert. Il décrit l’inconscient comme étant ce qui échappe entièrement à la conscience, même quand le sujet cherche à la percevoir et à y appliquer son attention ; c’est la partie inconsciente du psychisme.
Selon moi, dans la partie inconsciente du psychisme règne un chaos et c’est de ce chaos qu’émergent les histoires. C’est là aussi que se cachent, entre autres, les solutions à tous nos problèmes, même ceux rencontrés en cours d’écriture. Lorsque nous bloquons devant un dialogue qui nous dit rien, par exemple, ou dans un passage descriptif ennuyeux ou bien au début du prochain chapitre.
Comment entrer en contact avec l’inconscient ?
En 1981, le Dr Roger W. Sperry a gagné le prix Nobel en médecine pour la découverte des fonctions spécifiques des cerveaux droit et gauche. Selon son étude, le cerveau gauche est le côté rationneldu cerveau, régi par la logique, et qui pense en mots. Tandis que le cerveau droit est la partie intuitivedu cerveau, celle qui pense par images et par symboles.
L’intuition, explique Anastasia Suen dans son livre Picture Writing paru aux éditions Writer’s Digest Books en 2003, est un cadeau que nous avons toujours à notre portée. L’intuition, reliée au cerveau droit, communique par images, sous forme de jeu, tandis que le côté logique travaille en organisant et en écrivant des mots. Pourquoi n’écrire qu’avec un seul côté du cerveau? nous demande-t-elle. Utilisons les deux côtés et écrivons les images que nous voyons…
L’inconscient serait donc cette partie de soi qui communiquerait avec nous par images intuitives, par l’intuition.
Une autre théorie, plus spirituelle, parle de l’intuition comme étant le langage de l’âme qui tente de communiquer avec le soi conscient. Et l’âme, de nature omniprésente, omnipotente et omnisciente, émettrait des ondes, ou vibrations, qui se manifesteraient par l’intuition. L’inconscient, selon cette idéologie, serait un corps que l’âme revêtirait pour voyager sur un plan de conscience invisible très différent de celui dans lequel on vit avec notre corps physique. Une dimension parallèle, si vous voulez…
Si on se base sur cette vision des choses, nous pourrions, dans l’acte de l’écriture, travailler de façon consciente avec l’âme qui nous habite, en utilisant l’intuition. Car l’âme est omnisciente, elle sait tout ! C’est possible…
Chaque écrivain a sa propre théorie sur le sujet. L’important est de trouver celle qui nous convient personnellement, et qui est en accord avec nos convictions et nos valeurs.
Maintenant, examinons les différentes façons de travailler avec l’inconscient dans la pratique de l’écriture.
L’inconscient et l’écriture
Anastasia Suen, qui s’appuie sur la théorie des deux cerveaux, explique comment l’inconscient est utilisé dans le processus créatif qu’elle définit en cinq étapes :
- Étape 1 : Préparation – Le cerveau gauche organise les mots et les idées (par la recherche, la lecture, la prise de notes…)
- Étape 2 : Frustration – Le cerveau gauche gèle face à un problème, laissant le cerveau droit prendre la relève.
- Étape 3 : Incubation – Le cerveau droit « dort » sur le problème.
- Étape 4 : Illumination – Le cerveau droit surgit avec une réponse-image.
- Étape 5 : retranscription – Le cerveau gauche retranscrit l’image en mots.
C’est aux étapes 3 et 4 que l’inconscient entre en fonction. Mais pour le solliciter, il faut d’abord lui poser des questions simples, claires et précises, ajoute cette auteure.
Pour illustrer ces étapes, prenons par exemple un écrivain qui veut à tout prix terminer un chapitre dans lequel son héroïne doit se sortir d’une situation désagréable. Son cerveau droit gèle. Il ne sait pas quelle action l’héroïne doit poser pour changer la situation. L’écrivain se trouve donc à l’étape deux du processus créatif : la frustration. Alors, il doit poser une question claire à son inconscient. Elle pourrait se traduire comme suit : « Quelle action Adeline doit-elle poser pour se libérer de ce prétendant insistant? » Et ensuite, lâcher prise, avec la confiance que la réponse va surgir tôt ou tard. Le cerveau droit dort sur le problème (l’étape 3). Puis, à un moment donné qui pourrait arriver le soir même, le lendemain, la semaine suivante ou durant les mois à venir, l’illumination survient (l’étape 4). Une image se manifeste : Adeline pourrait écrire une lettre.S’ensuivent alors d’autres questions. Si elle écrit une lettre, comment ce garçon va-t-il réagir? Comment va-t-elle la lui remettre? En personne ou en sollicitant l’aide d’une amie? Ainsi, la démarche d’écriture se poursuit, car de cette idée-image s’enchaîne une série d’actions qui mènent finalement à la fin du chapitre (étape 5).
Ces cinq étapes, on peut les traverser plusieurs fois dans l’écriture d’un livre. Et plus on prend de l’expérience, plus on a écrit et publié, plus rapidement s’exécutent ces cinq étapes. Elles deviennent comme une seconde nature ; on n’y pense plus, elles s’exécutent d’elles-mêmes, dès que l’écriture gèle.
Dans mon cas, après plus de 15 ans d’écriture, lorsque je me trouve devant un nouveau chapitre, j’ignore totalement ce qui va arriver dans l’histoire. Alors, je pose des questions à moi-même, à l’inconscient, à l’âme que je suis qui sait tout déjà de l’histoire qui est en train de s’écrire, pour tenter de faire émerger du chaos la suite de mon histoire. J’écris, vite ; j’écris dans mon carnet tout ce qui me vient comme réponse, comme idée, comme dialogue, comme actions et pensées des personnages. Je développe ainsi la suite de mon histoire. C’est comme ça que j’ai appris, ces dernières années, à travailler avec mon inconscient.
L’inconscient joue aussi un rôle important dans l’écriture du premier jet d’une histoire, et cela en y insérant un réseau d’images et de symboles, à l’insu de l’auteur. En effet, lorsque nous sommes en écriture, sans que nous le sachions, l’inconscient jette dans le texte des motifs qui apparaissent de façon récurrente. C’est à la relecture, cependant, qu’il faut avoir l’œil ouvert pour repérer ces motifs. J’en parle ICI.
Stephen King, dans son livre Écriture, Mémoire d’un écrivain(Albin Michel, Paris, 2001), en parlant du symbolisme, dit ceci : « C’est cette aptitude à la métaphore et à résumer une image qui rend le symbolisme intéressant, utile, lorsqu’il est employé à bon escient, frappant. (…) Le symbolisme a pour fonction d’orner, d’enrichir, pas de créer une profondeur artificielle. (…) Le symbolisme peut servir de catalyseur entre vous et votre lecteur, aider à créer un texte plus unifié, plus agréable. Je crois que, lorsqu’on relit son manuscrit (lorsqu’on relit à voix haute), on voit s’il comporte des aspects symboliques ou un potentiel symbolique. Dans le cas contraire, on laisse les choses en l’état. »
Dans mon roman, Adeline, porteuse de l’améthyste, lors d’une de mes nombreuses relectures, j’ai repéré un motif récurrent : la présence de feuilles d’automne. Je me suis alors demandé comment je pourrais utiliser ce symbole pour unifier mon récit. J’ai compris que les feuilles d’automne se détachant des arbres pourraient signifier une attitude qu’Adeline devrait développer pour évoluer : le détachement. Dans mon histoire, Adeline est obsédée par l’idée que son enseignant de français pourrait être celui qui lui envoie des lettres d’amour anonymes, tout simplement parce que cet homme lui plaît. L’attachement à cette idée se traduit, au début de l’histoire, par l’image des feuilles d’automne qui ne veulent pas se détacher des arbres. Mais plus on avance dans le récit, plus Adeline se transforme et plus les feuilles des arbres se détachent, laissant les branches dénudées au travers desquelles un vent se glisse en toute liberté, démontrant ainsi qu’Adeline s’est enfin libérée de son obsession.
Nous pouvons aussi utiliser les ressources infinies du monde onirique : les rêves, pour trouver une solution à un problème que nous rencontrons dans l’écriture, mais aussi dans notre vie de tous les jours. Tout comme dans le processus créatif décrit par Anastasia Suen, on doit d’abord poser une question précise, claire et simple à notre inconscient, mais cette fois, on le fait avant de s’endormir. Et durant le sommeil, des chosesse produisent : nous rêvons, l’inconscient est en action. Finalement, soit que la solution se manifeste par la compréhension du symbolisme d’un rêve dont nous nous souvenons, soit qu’au réveil, une image se précise dans notre tête, représentant la solution à notre problème.
Personnellement, quand je reste au lit le matin en jonglant avec mes pensées, des idées surgissent et de nouvelles directions à prendre pour le roman en cours se précisent. Je prends alors conscience que le monde onirique a une fois de plus bien fait son travail.
Finalement, quand on sait comment travailler avec l’inconscient, celui-ci devient inévitablement un allié puissant.
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