(Début d’un roman policier)
L’enquêteur André Jr Marquis, assis à son bureau, examinait le dossier qu’il venait d’ouvrir devant lui et dans lequel se trouvaient les photos d’une femme. Marie-Jeanne Perron, 46 ans, retrouvée morte dans sa voiture, une Mazda 3, immergée dans le fleuve Saint-Laurent. Il soupira tristement, car il connaissait Marie-Jeanne. Alors qu’elle était adolescente, cette fille avait changé sa vie : elle avait été sa première blonde! Une relation d’à peine cinq mois, mais quand même… À quatorze ans, il l’avait aimée comme un fou.
Il y avait cinq jours, Marie-Jeanne avait été portée disparue. C’était son conjoint Richard Lamoureux, directeur de l’informatique de Lamoureux et fils, qui les avait avertis. André avait fait son enquête pour mieux connaître l’homme, car dans les cas d’une disparition, les plus proches sont souvent les coupables. Lors d’un entretien avec Richard, André avait appris que Marie-Jeanne vivait une vie normale, qu’elle suivait des cours à temps partiel à l’UQTR, qu’elle écrivait un roman à la maison, donnait des ateliers d’écriture chez elle et supervisait un ancien enquêteur à la criminelle dans la rédaction de son récit de voyage. « Elle allait bien avec moi, avec les enfants et avec elle-même! » s’était exprimé Richard, consterné. Il ne comprenait pas pourquoi elle avait disparu. Puis son visage s’était assombri. Ses yeux noirs, dans lesquels brillait la flamme ardente d’une âme qu’André avec qualifiée d’aguerrie, s’étaient fermés un moment. Richard avait inspiré profondément, rouvert les yeux puis vidé d’un trait son verre d’eau, comme s’il prenait le temps de trouver les mots justes pour dire ce qu’il allait dévoiler. Après quoi il lui avait avoué que Marie-Jeanne traversait parfois des périodes de déprime assez profonde. Il avait toujours peur de ce qu’elle pouvait commettre durant ces moments. Elle lui criait souvent que s’il ne s’occupait pas assez d’elle, elle sacrerait son camp! Marie-Jeanne, avait-il continué en baissant la voix comme s’il voulait que personne d’autre n’entende, éprouvait un manque d’attention et de reconnaissance en raison de ce qu’elle avait vécu durant son enfance. Il avait toujours fait son possible pour la soutenir, pour l’aider. Mais à certains moments, il était à bout, complètement vidé… Cependant, ces dernières années, depuis que les enfants étaient plus grands, elle écrivait beaucoup plus et, par conséquent, elle avait retrouvé sa joie de vivre. Elle allait bien…
Richard avait ensuite observé un lourd silence, les deux mains jointes devant lui. Puis il avait mis un terme à l’entretien en le fixant droit dans les yeux avant de se lever brusquement et de quitter le bureau. Lors de ce bref moment, durant lequel leurs yeux s’étaient croisés, André avait pu voir poindre une colère sourde qui l’avait à la fois intrigué et ému. André en avait la certitude, bien que cet homme semblât très amoureux de sa conjointe, il ne lui avait pas tout révélé.
Deux jours après ce premier entretien, quand il lui avait annoncé la mort de Marie-Jeanne, André avait été surpris par la réaction de Richard. Au lieu de s’effondrer et de pleurer, ce dernier était resté de marbre. Il se dégageait même de sa personne une impression de calme olympien. Ce n’était qu’une façade, car la colère qu’André avait décelée dans ce regard brun, embrasait désormais toute son âme. Les yeux de Richard montraient deux flammes noires à glacer le sang. « Criss! Elle a osé le faire! » avait-il juré entre ses dents avant d’abattre son poing sur l’un des classeurs gris à côté desquels ils se trouvaient. Avec une grande délicatesse, André lui avait demandé de le suivre à son bureau. Il lui avait offert un café que Richard avait poliment refusé. Puis il lui avait demandé ce que Marie-Jeannne avait osé faire? L’homme avait alors plongé ses deux brasiers dans son regard avant de lui répondre : « Elle s’est ôté la vie… »
La gorge nouée par ces souvenirs, André passa une main distraite au-dessus du tas de photos éparpillées devant lui, en quête d’une image qui pourrait lui donner une autre piste que celle du suicide. Il avait du mal à y croire. La Marie-Jeanne qu’il avait connue était toujours de bonne humeur, souriante, drôle. Pendant l’année de leur troisième secondaire, ils avaient tous deux fait partie du groupe de musique de l’école. Marie-Jeanne chantait et jouait du clavier, lui se défoulait à la batterie. D’autres musiciens les accompagnaient à la guitare, à la basse et aux cuivres, des élèves aussi fous qu’eux de la musique. Ils avaient tripé! Marie-Jeanne était une fille qui, somme toute, aimait la vie. Perplexe, André se passa une main dans le visage. Qu’était-il donc arrivé à cette femme?
Son autre main s’immobilisa sur une photo où l’on voyait la Mazda 3 encore toute dégoulinante et recouverte d’algues et de joncs. On l’avait repêchée à la hauteur de Saint-Pierre-les-Becquets. C’était un plongeur qui l’avait trouvée. André fronça les sourcils en se grattant la tête puis se mit à fouiller avec frénésie dans le dossier jusqu’à ce qu’il trouve enfin ce qu’il cherchait. La photo du plongeur. Cet homme, avec ses cheveux bruns et son début de calvitie, son énorme grain de beauté sur la joue gauche et son allure sportive, lui rappelait quelqu’un. André ragea intérieurement, car depuis qu’il avait subi l’ablation d’une masse cancérigène au cerveau, il y avait six ans, il éprouvait des difficultés avec sa mémoire.
Quoi qu’il en soit, il avait appris en interrogeant ce plongeur qu’il s’appelait Pascal Dion et qu’il vivait à Plessisville. Il était en vacance à son chalet de Saint-Pierre-les-Becquets pour deux semaines. C’est lors d’une de ses expéditions sous l’eau qu’il avait trouvé la voiture et le corps. Il avait tout de suite reconnu Marie-Jeanne, car elle avait été sa blonde à la fin de son secondaire. En apprenant cela, André avait juré contre sa mémoire défaillante et avait trouvé curieux que ce Pascal, ayant fréquenté la même école que lui, ne l’eût pas reconnu non plus. André avait mis ce détail de côté en sachant qu’il y reviendrait plus tard, et avait demandé à Pascal s’il avait revu Marie-Jeanne avant ce jour-là. Oui, lui avait-il répondu, mal à l’aise, il l’avait croisée à Gentilly au supermarché la veille. Comment était-elle? lui avait demandé André. « Elle semblait troublée et surprise de me revoir. J’ai eu l’impression qu’elle aurait voulu être ailleurs. Elle tremblait et lançait des regards inquiets autour d’elle. Elle m’a salué distraitement puis elle est partie en courant. » Pascal avait trouvé étrange cette réaction, mais ne s’en était pas préoccupé outre mesure puisqu’il était ici pour savourer ses vacances et explorer les fonds du Saint-Laurent…
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