Pourquoi n’arrive-t-il pas? Il sait que je suis là… Je poirote au terminus 45 et il fait froid. Depuis une heure, des gens défilent devant moi ; ils arrivent, discutent entre eux puis repartent. Et moi, les écouteurs dans les oreilles, j’attends comme une conne! J’ai mis ma nouvelle veste pour lui, les jeans qu’il préfère. Je me suis maquillée, mais pas trop. Mes cheveux flottent librement sur mes épaules, comme il les aime. Je me suis arrangée pour qu’il ait du plaisir à me regarder, malgré mes quelques livres en trop.
Je veux tellement lui plaire!
Un autobus s’arrête, le bruit du moteur envahit mes oreilles, l’odeur de mazout me fait grimacer ; mon cœur s’accélère. J’attends, les yeux rivés sur les portes, il y en a deux. Trois personnes âgées descendent de celle du milieu et un couple d’amoureux, de celle du devant. Lentement, le véhicule reprend sa course.
Pas de Jean-Luc…
Je serre les poings ; ce fumier me pose un lapin!
Des cris retentissent dans le ciel. Je lève la tête : une volée de mouettes se prépare à immigrer. Je comprends. Il fait un froid de chien depuis une semaine.
— Go, les mouettes! Allez vous faire dorer les plumes en Floride.
Mon œil tombe sur l’horloge du clocher de la cathédrale : 10 h 45. Bordel! Qu’est-ce qu’il fout? Je signale son numéro sur mon portable. Ça sonne : une fois, deux fois, trois puis quatre, cinq, six… Je tombe sur sa boîte vocale : « Salut, j’suis pas là, laisse ton petit mot, pis j’te rappelle. Bye! » Le timbre sonore suit.
— Jean-Luc! C’est moi, t’es où? Je t’attends depuis une heure. On avait rendez-vous au terminus 45. Tu te souviens. J’attends encore 15 minutes, puis je rentre chez moi.
Je suis en colère. Je déteste quand il me fait ça. Ce n’est pas la première fois… Comme si je n’étais plus rien à ses yeux… J’ai mal aux jambes, au cœur ; j’ai envie de vomir… Je me laisse tomber sur le banc à côté d’une poubelle. Des bouffées de puanteur s’engouffrent dans mes narines. La nausée devient plus forte ; je me relève et marche autour de l’arrêt de bus puis je vomis dans la pelouse. Des gens me regardent, le visage inquiet ; je leur fais signe que tout va bien. Je m’essuie la bouche, un goût acide dans le fond de la gorge, je continue de marcher.
Tout près, il y a un parc avec une fontaine. On l’appelle la fontaine des amoureux, car sur le marbre, des messages d’amour sont incrustés. Du plus érotique à la simple déclaration. Hier, j’y ai écrit le mien, en message codé, pour Jean-Luc. Il aime tellement résoudre des énigmes. J’ai pris un temps fou à la découvrir, celle-là, et à la peaufiner ; je suis pas mal fière de moi.
Je lui envoie un texto : « T’as une énigme à résoudre sur la fontaine des amoureux. » Peut-être qu’avec ça, il se décidera à venir me rejoindre.
Mais s’il ne vient pas, il sera trop tard : je pars demain chez mon père. Et j’ignore quand je reviendrai : histoire de famille compliquée…
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