Pourquoi la trilogie des Pierres et des Roses ?
(Notes : Dans ses réponses, Élisabeth Vonarburg utilise la féminisation des noms de métier et de fonction. Donc, dans mes prochaines questions, je ferai comme elle…)
Pourquoi écrit-on une histoire ? Parce qu’elle est là, parce qu’elle ne vous lâche pas. Parce qu’elle veut être racontée. Et celle-là voulait vraiment (mais pour moi, elles veulent toutes vraiment !). En 1997 ou 1998, j’avais vu une minisérie anglaise, une histoire classique de chevalerie moyenâgeuse. Et alors le physique de certains acteurs, les relations entre certains personnages… Pour une raison que j’ignore, et que je n’ai pas encore complètement élucidée, cela m’était resté, me restait, continuait à raconter autrement dans ma tête. Mais je n’écris pas des romans de chevalerie moyenâgeuse dans un cadre historique, moi !!! Cependant, des morceaux entiers de scènes, de dialogues, me venaient avec obstination — tout en anglais ; mon compagnon est bilingue, élevé en anglais, je suis traductrice, je lis, écoute des séries et des films et de la musique en anglais… et l’anglais est pour moi une façon de me distancier, aussi. Je l’utilise très souvent au début de mes remue-méninges. Je consignais tout cela dans mes carnets, simplement parce qu’il y avait quelque chose là, je ne savais pas quoi, mais il y avait quelque chose.
Pourquoi écrit-on une histoire ? Parce qu’elle est là, parce qu’elle ne vous lâche pas. Parce qu’elle veut être racontée.
Là-dessus, presque dans la même période, j’ai fait la série de rêves d’où est issu Reine de Mémoire, une uchronie, i.e., pour moi, quelque chose à cheval sur l’Histoire, la SF et, en l’occurrence, la fantasy, puis que l’une des prémisses est que la magie est intégrale à cet univers parallèle. J’ai donc consacré toutes mes énergies à cette histoire-là – il en fallait ! –, mais l’autre histoire continuait de me parler. Chaque fois que la seconde patinait dans la choucroute — et il y en a eu beaucoup, de ces fois, entre 1998 et 2004 –, je me plongeais dans la première, façon de ne pas me sentir trop découragée. Et à un moment donné, la petite ampoule s’est allumée au-dessus de ma tête : Et qu’est-ce qui se passerait si je croisais le monde de Reine de Mémoire [qui avait son titre depuis le début, une rareté pour moi] et celui du FRdC ? (Car le titre de travail de ce roman-là était, et est resté pendant plus d’une décennie : “le Foutu Roman de Chevalerie”)
Et alors, oh bon sang, cette sensation merveilleuse de tout un tas de déclics, de pièces qui se mettent en place ou qui apparaissent brusquement, et cette certitude, cette évidence de OUI-C’EST-ÇA !
Ça n’a pas duré longtemps. Parce que l’intrigue échafaudée pour le FRdC ne tenait plus trop bien si je flanquais de la magie et des pouvoirs dans les rouages. J’ai donc passé un certain temps à réadapter (tout en continuant de m’acharner sur Reine de Mémoire), mais c’était jouissif parce que les oui, oui, OUI ! étaient plus nombreux que les oh-non-zut (et autres explétifs de bien plus mauvaise compagnie) ça ne marche paaaaas ! Et puis RdM est entré dans son galop final et j’ai vraiment laissé l’autre de côté pendant plusieurs mois.
Quand je l’ai repris, bien sûr, il a fallu presque tout recommencer. Parce que là, c’était pour de vrai. Ce n’était plus mon refuge anti-déprime. J’allais l’écrire. Vraiment. Il fallait que ça marche. Et donc l’intrigue est passée par plusieurs cycles d’essorage, avec et sans adoucissant et anti-statique. Et surtout, les recherches. Oh, Ma Déesse, comme on dit, les recherches, dans tous les domaines ! Je pensais que celles effectuées pour Reine de Mémoire, déjà considérables (surtout en histoire des religions et mythologies du monde entier) me seraient utiles, et elles l’étaient, mais… RdM se déroulait essentiellement entre un XVIe et une fin de XVIIe siècle, parallèles certes, différents donc et à réinventer, mais des époques que, d’une part, je connais très bien et qui d’autre part sont très bien documentées. Mais le Moyen-Âge ? Le haut Moyen-Âge, i.e. les XIIe et XIIIe siècle ? C’est pour nous modernes un tout autre monde ! On peut mentalement et psychologiquement se dépatouiller aux XVIe, XVII et XVIIIe siècles, mais très difficilement ou pas du tout avant. Moi, en tout cas. Et surtout, la documentation, euh…
J’ai passé des journées entières sur Google. J’ai acheté des dizaines de revues spécialisées et pas mal de bouquins ; chaque fois que passait un documentaire sur les tournois, le moyen-âge, les croisades, les armures, la médecine, alouette, mon chum me l’enregistrait d’office. Je passais des journées entières sur Google. Tout et n’importe quoi, quand je regarde mes dossiers de notes (électronique, dieu merci !). Les langues, les dialectes, les vêtements, la géographie, les climats, les races de chien, de chevaux, de cochons (alouette…), la nourriture, les heures du jour, les jardins, la construction des cathédrales, les couleurs, les industries, le commerce, l’organisation sociale et politique… Car non seulement je devais me trouver chez moi dans ce monde (y vivre comme mes personnages chez eux), i.e. le connaître tel qu’il a été, (ce que font les bons romans historiques… normaux), mais encore fallait-il le recréer tel qu’il aurait été en tenant compte de mes prémisses, i.e. essayer d’imaginer ce que celles-ci changeaient dans… eh bien, tout. Un monde, le monde réel, un monde inventé ou un mélange des deux, est un cube de Rubik. On change un élément, tout le bidule change de configuration. On en change plusieurs et… Aïe.
Un monde, le monde réel, un monde inventé ou un mélange des deux, est un cube de Rubik. On change un élément, tout le bidule change de configuration. On en change plusieurs et… Aïe.
Et ça vaut pour n’importe quelle fiction, attention. Je m’étais juste compliqué la tâche. Immensément. Mais j’aime ça. Parce que j’aime bâtir des cathédrales.
Maintenant, la question posée pourrait aussi se lire comme “pourquoi une trilogie ?”.
D’ordinaire, je sais toujours quelle longueur va avoir une histoire – texte court, nouvelle, novella, romans d’un volume, de deux, de trois, de plus… Bien sûr, j’ai, hum, plus de cinquante ans d’écriture derrière moi, un peu d’expérience quand même, mais je crois qu’il y a un certain nombre de signes qui ne trompent pas, valides pour tout le monde : le nombre des personnages qui vous branchent vraiment, qui vous parlent, littéralement, (i.e. où l’on se projette vraiment), le nombre des lieux et des époques (i.e. les problèmes techniques, narratifs, à envisager pour passer des uns aux autres), et enfin la complexité appréhendée de l’intrigue (on a quand même une image globale au départ, si floue puisse-t-elle être).
Tout cela, évidemment, on ne peut le voir, le “savoir”, que si on pense d’avance à une histoire.
Il y a des écrivaines qui écrivent au fil de la plume, sans réflexion préalable systématique, puis, quand l’histoire est finie, on relit, on voit mieux ce qu’on a écrit, et on peut commencer à vraiment écrire, c’est à dire à devenir la cause de ses effets en réécrivant : on coupe, on ajoute, on change de place, on approfondit… tout ça. C’est tout à fait légitime. Chacune sa manière. Ce n’est pas la mienne. Dans 90% des cas, je prépare. Beaucoup. Longtemps. Et plus encore lorsque les signes me disent qu’il s’agit d’un roman. Je n’en fais ni une loi, ni une recette : c’est simplement ce qui fonctionne pour moi. Je me suis fait pogner une fois, malgré la préparation, avec Reine de Mémoire (rien n’est jamais garanti, en écriture !). Mais essentiellement parce que ça n’avait pas été assez préparé. J’ai enregistré la leçon !
Cela m’a valu tout un tas de plaisanteries des copains à propos du FRdC (doté entre temps dans mes notes, enfin, du titre provisoires P&R : Pierres & Roses) : “Ah oui, une autre trilogie en cinq volumes !”. Mais non. Ce serait trois volumes, je le savais, je l’ai su dès que j’ai sérieusement commencé le (re)remue-méninges définitif. Ce seraient de gros volumes, mais il n’y en aurait que trois. Pari tenu.
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